La pauvreté au Cameroun : Un marché « juteux » et en forte progression

La pauvreté au Cameroun : Un marché « juteux » et en forte progression

La pauvreté au Cameroun est aujourd’hui un business de plusieurs centaines de milliards où tout le monde gagne et le seul perdant reste le malheureux pauvre. Peut-on vraiment parler de lutte contre la pauvreté ?

Dans sa plus simple expression, la pauvreté exprime la situation d’un individu qui ne dispose pas de ressources jugées suffisantes par rapport à un seuil, pour satisfaire les besoins de base : manger, boire, se vêtir, se loger, etc. La pauvreté colporte avec elle, d’autres privations graves telles que la difficulté d’accès aux services et équipements sociaux de base : Education, santé, eau potable, assainissement, etc.  Dans la lutte “supposée” contre la pauvreté, les pionniers de temps modernes les plus cités, à l’instar de Mère Theresa en Inde ou de Coluche en France avec les Resto du Cœur, ont apporté leur assistance sans la moindre contrepartie. Cette catégorie n’existe pratiquement plus et de nouveaux acteurs dont la plupart vivent de la pauvreté, sont en pleine émergence. Pour ces derniers, la pauvreté est un véritable marché pour lequel avant d’investir, ils engagent des études et conçoivent de solides stratégies de conquête et de développement de ce marché.

Sans être cynique, actuellement presque tous les acteurs de ce marché à savoir les Etats, les ONG, les Bailleurs de fonds, y compris certains pauvres eux-mêmes, tous ont un grand intérêt à ce que la pauvreté dure et se développe selon le fameux principe, “pas d’intérêt“, “pas d’action“. Les entreprises privées ne sont pas du reste. Elles ont pris conscience de l’importance de ce marché et s’y investissent chaque jour afin d’offrir aux pauvres les produits adaptés à leurs conditions de pauvreté. Ainsi, plus la pauvreté dure ou s’aggrave, plus les opportunités de faire de bonnes affaires se multiplient et les stratégies d’investissement s’affinent.

  1. Le marché de la pauvreté est un marché fortement attractif et florissant. Sur ce marché la demande réunit les principaux critères que recherche les investisseurs : Durabilité, Solvabilité et Rentabilité.

La pauvreté constitue une demande durable : Durable à la fois de par les caractéristiques des personnes pauvres et durable parce que savamment entretenue par les bénéficiaires de ce marché.

  • Durabilité par les caractéristiques des personnes pauvres

En effet le nombre de personnes pauvres est en croissance régulière partout dans le monde et rien n’est fait pour réduire ou éliminer efficacement cette catégorie de personnes.

D’après l’indice de pauvreté vécue et élevée développé par Afrobaromètre qui se définit comme les personnes qui se trouvent très souvent en situation de dénuement par rapport aux besoins de première nécessité ; celle-ci a progressé en moyenne de 2% entre 2013 et 2022 et s’est intensifiée ces deux dernières années avec la pandémie du COVID, 35% en 2013, 26% en 2015, 33% en 2018, 32% en 2020 et 38% en 2022.

D’après la Banque Mondiale, le taux de pauvreté au Cameroun est aujourd’hui stable autour de 40% avec de fortes disparités selon les régions, les régions les plus pauvres étant celles du septentrion.

L’examen des caractéristiques des personnes pauvres nous amène à distinguer trois catégories de demandeurs.

La première catégorie est constituée en grande partie des individus (ou ménages) qui sont généralement des personnes sans emplois : On y retrouve entre autres les analphabètes (70,8%), les prisonniers, les personnes vivant dans les zones rurales et aujourd’hui les nombreux déplacés et/ou sinistrés des guerres et autres catastrophes naturelles et de plus en plus de jeunes diplômés sans emplois.

Cette catégorie est généralement exposée à certaines maladies telles que la tuberculose, la malaria, le choléra, la Méningite, le VIH/SIDA et le COVID 19 qui sont devenues de véritables niches où se battent les offreurs sur le marché de la pauvreté.

La deuxième catégorie comprend les Etats et notamment qui au cours des dernières décennies, ont manifesté leur souhait de se faire classer Pays pauvres très endettés (PPTE), probablement pour bénéficier contre diverses humiliations, de quelques subsides d’aide. C’est triste à dire, mais les avantages reçus n’ont guère réduit la pauvreté et très peu de ces pays PPTE ont enregistré des progrès significatifs concernant leur indice de développement humain.

La troisième catégorie regroupe de nombreuses organisations de la société civile qui s’investissent à identifier chaque jour, de nouvelles poches de pauvreté et à se battre contre vents et marées pour cultiver et entretenir “des jardins de pauvres “.

  • Durable parce que : Le marché est savamment entretenu au Cameroun
    • Par une mauvaise interprétation de “Heureux les pauvres” véhiculé par l’église catholique qui annihile la volonté contre l’adversité et les conduit à préférer la pauvreté à la prospérité ;
  • Par la politique de l’éducation qui a privilégié le diplôme à la formation. Pendant de nombreuses années de formation technique était présentée comme un échec. Aujourd’hui ceux qui sont dit formés sont loin d’être aptes à intégrer un emploi.
  • Par la politique économique ou financière qui n’accompagne pas les individus qui veulent sortir de la pauvreté : Ainsi par exemple les banques sont prêtes à vous donner un crédit de 50 millions pour acheter une voiture mais pas 5 millions pour investir dans un projet dans l’agriculture. L’Administration publique est prête à supporter un logement de 250 000 FCFA pour un de ses agents mais refuser de lui allouer 100.000 FCFA en indemnité de logement.

La pauvreté est une demande solvable : Elle est solvable parce que les efforts sont faits chaque jour lui allouer pour plus de financements pour accompagner les pauvres, notamment pour payer la quote-part qui leur permet d’être éligible comme pauvre et pouvoir ainsi bénéficier des produits et dons divers. Ces efforts sont plus récompensés que ceux qui sont orientés à sortir les gens de la pauvreté.

La pauvreté est une demande rentable : La croissance régulière du nombre de structures et institutions qui luttent contre la pauvreté, témoigne de la “bonne santé financière” de celles-ci. Elles perdurent parce que l’activité est rentable.

  1. Le marché de la pauvreté: Une offre dynamique et diversifiée

Des individus et des ménages malheureux attendent de multiples produits et services de la part de “donateurs généreux”. Chaque jour plusieurs millions de tonnes de dons de produits alimentaires sont distribués à des millions de personnes en Afrique. Le concept de “banque alimentaire” prend forme de plus en plus. A côté des dons alimentaires, les dons en produits pharmaceutiques sont devenus tellement courants que l’Organisation Mondiale de la Santé sur financement de l’Union Européenne, a élaboré toute une charte pour orienter les comportements des bénéficiaires, des donateurs et des gestionnaires. En effet, il a été constaté pour citer le cas des médicaments, que les produits offerts ne correspondaient ni aux profils épidémiologiques, ni aux spécificités des structures sanitaires des localités bénéficiaires et les médicaments et les autres produits offerts sont véritablement des produits pour pauvres c’est-à-dire qui soignent sans guérir : anti-malaria, anti inflammatoires, antibiotiques, anti allergisants, poly vitaminés, seringues, les moustiquaires imprégnés, les vêtements, les chaussures, etc.  A côté des produits pour les personnes démunies, les Etats en panne de développement ou se déclarant éligible aux donateurs, sont également bien servis : Aides publiques et ou allègements de la dette, etc. souvent non accompagnés de l’évaluation de l’impact.

Il faut aussi relever que les produits et services sont de plus en plus variés et les mécanismes d’acquisition de plus en plus complexes, ce qui favorise l’entrée d’un plus grand nombre d’intermédiaires “spécialisés” qui agissent depuis leur conception jusqu’à leur mise à la consommation. Ces intermédiaires privent le bénéficiaire d’une partie importante de ce qui au préalable, lui était soi-disant destiné.

A titre d’exemple, le produit “subvention” mis en place par plusieurs bailleurs, fait intervenir de nombreux intermédiaires ou institutions dont les services vont de l’intermédiation entre les bailleurs de fonds et les pauvres malheureux qui attendent l’assistance des donneurs la préparation des dossiers d’appels à manifestation, à la mise à disposition des informations aux pauvres ciblés dans l’offre de subvention. D’autres intervenants vont surgir et se faire payer à prix d’or, pour aider les potentiels bénéficiaires à rédiger leur dossier de demande de subvention ceci même si “le pauvre” est capable de le faire. Enfin, contre toute attente, de nouveaux intermédiaires vont apparaître pour accompagner les bénéficiaires dans l’utilisation de la subvention sous le prétexte de lui permettre de réunir les conditions pour être éligible à la prochaine subvention. Toute chose qui fait qu’à peine 30% des montants de la subvention arrive au bénéficiaire. En fait la petite portion de la subvention qu’il reçoit n’a pas pour but de contribuer à le sortir de la pauvreté, mais sert essentiellement à le rendre éligible aux subventions futures, permettant ainsi entre autres de renforcer la notoriété des donateurs et la viabilité des organismes intermédiaires.

Au niveau de la distribution, et la mise en consommation les produits passent le plus souvent entre les mains des administrations publiques qui en font généralement une gestion approximative avant de confier le reste à une multitude d’organisations non gouvernementales et des organisations de la société civile dont plusieurs vivent essentiellement de la pauvreté.  Ainsi être pauvre est devenu un statut social aussi important que les autres statuts. Vive ! la pauvreté afin que vivent tous les acteurs qui en dépendent.

En conclusion, aujourd’hui, on peut facilement constater qu’en dehors du vrai pauvre, personne n’a intérêt à ce que la pauvreté soit combattue efficacement. Le pauvre doit être entretenu dans sa pauvreté et il faut surtout veiller à ce qu’il reste vivant afin que les affaires progressent. Plusieurs grandes entreprises privées ont compris depuis longtemps l’importance de ce marché. Elles sont intéressées par ce marché qui bien que faible en valeur est important par son volume. Les pauvres ont moins d’argent, mais ils sont très nombreux. De plus une personne pauvre a une propension à consommer plus élevée qu’une personne aisée car ce qu’il a ne lui permet pas d’investir. Les entreprises investissent aujourd’hui des sommes importantes pour mieux cerner le “consommateur pauvre” et lui offrir des produits adaptés c’est-à-dire capables de répondre à ses attentes mais toujours de façon rentable pour l’entreprise. Le Marketing est simple et généralement concentré sur la relation de proximité. Tout est fait de manière à réduire les coûts de revient afin d’avoir une petite marge unitaire.  Des efforts importants sont faits sur les segments plus riches afin d’asseoir des marques fortes qui permettront par la suite de faire rêver les pauvres : “Des produits de marque, pour pauvres : quelle perspective !”


Par FANSI THEODORET-MARIE
PDG Groupe Cible

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Comments (2)

  • Akpamadji Zarifou Répondre

    Très édifiant

    21 octobre 2022 à 11h59
  • NGONO BINELI Modeste Armand Répondre

    Votre analyse est très pertinente et résume tout.

    30 octobre 2022 à 19h17

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